11-Septembre

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Pourquoi le World Trade Center est-il tombé ?


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par Geoff Rooke, ingénieur structure

Commençons par un court rappel des événements : le 11 septembre 2001, deux avions s’écrasaient sur les tours du World Trade Center. Notons également que celles-ci ne sont pas tombées immédiatement après l’impact. Ainsi, la tour nord, la première à subir l’attaque des deux avions, s’est effondrée après une heure et cinquante quatre minutes tandis que la tour sud n’a résisté que cinquante six minutes. On peut alors dire que l’impact des avions n’est pas à l’origine de l’effondrement final. Ce qui nous ramène donc à notre problématique : pourquoi le World Trade Center est-il tombé ?
Tour Nord incendie
(image ajoutée)


Observons en outre que sur de nombreuses photos, une énorme boule de feu vient se positionner à l’extérieur de l’immeuble. C’est une image importante pour le discours car le feu est l’élément déclencheur de l’effondrement final des deux tours. En ce qui concerne les boules de feu, il ne s’agit pas d’explosions mais de kérosène qui brûlait à l’extérieur du bâtiment. En effet, à la suite des impacts, un trou béant de trois étages résultant a permis au kérosène des avions de s’écouler et de brûler, principalement à l’extérieur du bâtiment ; le feu n’a heureusement pas pu s’étendre de façon optimale à l’intérieur car toute combustion requiert de l’oxygène. C’est un élément clé dans la compréhension du phénomène : le feu demande de l’oxygène. Or, il n’y avait pas assez d’oxygène à l’intérieur immédiatement disponible et le feu s’est trouvé aspiré vers l’extérieur. Le kérosène qui s’écoulait partout dans le bâtiment a, bien sur, brûlé en partie et en partie a continué à s’écouler vers les niveaux inférieurs du bâtiment, en empruntant les gaines techniques, les aérations, les trémies d’escaliers et d’ascenseur. Une grande partie de ce kérosène introduit dans le bâtiment, étant privé d’oxygène, n’a pas pu brûler immédiatement. Le feu a donc débuté à l’extérieur, y trouvant de l’oxygène et du combustible et s’est ensuite rapidement propagé à plusieurs niveaux de la structure. Il s’est introduit tellement rapidement que les pompiers se sont retrouvés en face d’une situation immaîtrisable.

Quelques estimations
Chaque bœing 747 portait environ 93 000 litres de kérosène et on estime qu’il restait 38 000 litres de kérosène dans chaque avion lors de l’impact. Chaque boule de feu aurait alors consumé 11 000 litres de kérosène chacune. Le reste aurait coulé à l’intérieur de chaque bâtiment. Au final, ces 27 000 litres n’étaient là que pour répandre le feu dans tous les étages.


Quelles sont les solutions envisageables face à un tel attentat ?

En construisant le World Trade Center, l’architecte et l’ingénieur ont pris en compte l’hypothèse que celui-ci pouvait être victime d’une collision avec un avion perdu dans le brouillard. Malheureusement, ils ont estimé que l’avion serait en fin de course transportant du même coup moins de fuel. En définitive, le B747 réel portait deux fois plus de kérosène que le B767 fictif pris pour les calculs. Quant à l’A380, encore plus grand, il pose aujourd’hui encore plus de problèmes au niveau de la conception de structures résistantes puisqu’il est beaucoup plus lourd et transporte beaucoup plus de fuel.
Quant aux structures des deux tours du World Trade Center, elles sont comme deux tubes dans le sens où toute la façade est porteuse. De plus elles fournissent la structure nécessaire qui résiste à la sollicitation du vent. Elles comportent aussi beaucoup de redondances (le poids d’un bâtiment peut trouver plusieurs chemins vers les fondations et, si un est coupé pour une raison quelconque, ce poids est reporté sur les autres et le bâtiment résiste). Les ingénieurs se félicitent d’ailleurs de la résistance de ces structures et du fait que les deux bâtiments sont restés débout longtemps après les impacts qui ont laissé de grands trous dans les façades.
Au total : 50 000 personnes étaient présentes dans le World Trade Center ce matin-là. 98 % des personnes présentes dans les étages en dessous du niveau des impacts des avions ont pu s’échapper sans encombre. Les populations au dessus, soit environ 2400 personnes, sont les victimes de cet attentat (auxquelles il faut ajouter 403 pompiers et secouristes). En ce qui concerne la sécurité, trois escaliers de secours étaient a priori prévus dans chaque immeuble, pour l’évacuation du World Trade Center. Cependant, ces trois escaliers avaient été endommagés par l’accident et n’étaient accessibles qu’aux personnes situées en dessous du niveau du point d’impact.
En outre, la tour Nord ayant été victime d’un attentat à la bombe quelques années avant le 11 septembre, les mesures de sécurité avaient alors été renforcées : un système d’éclairage au sol guidait les personnes présentes dans le bâtiment vers les sorties de secours, un système d’annonce publique donnait la marche à suivre, des répétitions tous les six mois des procédures d’évacuation du bâtiment étaient effectuées et des consignes en cas d’urgence avaient été données, par exemple celle de rester à son poste de travail jusqu’à ce que la sécurité demande l’évacuation du bâtiment. C’est ainsi que des personnes présentes dans la tour sud, alertées de ce qui se passait dans l’autre tour, n’ont pas évacué du fait de cette consigne interne. Heureusement, beaucoup de personnes ne l’ont pas suivie et ont évacué normalement le bâtiment.
En Europe l’utilisation des ascenseurs est normalement interdite aux occupants des bâtiments qui doivent emprunter les escaliers de secours en cas d’incendie. Les ascenseurs redescendent automatiquement et certains sont accessibles aux pompiers lors de leurs interventions. Malheureusement, après plusieurs accidents lors de secours, cette mesure fut interdite par une réglementation new-yorkaise et le 11 septembre 2001 les 99 ascenseurs (dont 23 rapides), avec des niveaux d’échanges, n’étaient pas utilisables par les équipes de secours. Nous comprenons mieux la difficulté de lutter contre un feu au 98ème étage, en y accédant à pied et avec des personnes affolées descendant dans le même temps.

Quelques détails sur la construction du WTC
Les deux tours du World Trade Center étaient résistantes mais comportaient des points faibles qui ont rapidement contribué à l’écroulement final des bâtiments. En effet, les éléments des façades sont raccordés en redan sur plusieurs niveaux, ce qui contribue à la redondance déjà mentionnée ci-dessus. Cet ainsi que, malgré l’énorme trou résultant de l’impact, 98 % des personnes situées en dessous du point d’impact ont pu s’échapper.
Cependant, un bâtiment de si grande envergure construit en France possède un noyau central comportant des gaines d’ascenseur, de ventilation et des tamis d’escalier construits en béton armé. Or, dans l’état de New York, un charpentier est roi dans les chantiers de construction et n’accepte pas, tout du moins avant le 11 septembre 2001, qu’une personne d’un autre corps de métier le chapote ; la construction a donc commencé par la charpente métallique. Or, il est difficile de créer une gaine d’ascenseur ou un escalier de secours en béton armé sur une charpente métallique déjà en place. Le béton doit aller en amont de celle ci, exactement comme dans la construction de bâtiments mixtes en France (car c’est une séquence de construction logique). Cependant, dans l’état de New York, du fait du syndicalisme, les charpentes sont faites en premier ; le World Trade Center avait ainsi une ossature en charpente métallique et les gaines des escaliers de secours étaient enfermés de parois en matériaux légers et fragiles tels le plâtre.
On imagine facilement que l’impact des avions ait rendu ces escaliers de secours inutilisables pour des personnes situées au dessus du point d’impact. Selon des anecdotes, des personnes bloquées dans leur descente par des débris ont même accédé à un autre escalier de secours en détruisant les murs de placoplâtre (normalement, on construit un bâtiment de manière à éviter ce genre d’éventualité).
En ce qui concerne les planchers, d’une portée de dix huit mètres et extrêmement légers, ils sont portés par de fines poutrelles métalliques rattachées aux façades et au noyau du bâtiment. Les attaches comportaient des amortisseurs afin d’amoindrir les déplacements et les vibrations du bâtiment dus au vent. Dix mille de ces amortisseurs étaient d’ailleurs présents dans le bâtiment. Les liaisons entre une poutre métallique et la structure verticale n’étaient de ce fait pas rigides mais consistaient en ces amortisseurs. Aujourd’hui on doit admettre que ce système d’attaches constitue un point de faiblesse qui aurait initié l’effondrement de la première tour.

Comment protéger l’acier contre le feu ?
Un isolant thermique est appliqué au métal afin de le protéger en cas d’incendie. Mais ce matériau est fragile et résiste mal aux chocs. Ne parlons pas des dégâts lors d’une attaque d’avion.
Dans le cas du World Trade Center, il est évident que le matériau a été sérieusement endommagé et qu’il a perdu de sa résistance car trois niveaux ont été attaqués. Ici, les bâtiments étaient équipés de « sprinklers » positionnés derrière les faux plafonds. Ces derniers sont en permanence sous pression, rattachés au système de tuyauterie ; ils sont conçus pour asperger de l’eau dès que la température environnante dépasse un seuil défini. Ce système constituait la première ligne de défense contre le feu du World Trade Center. C’est coûteux à l’installation mais et très efficace contre les incendies de taille limitée. Cependant, ce système a sans doute été abîmé par l’impact des avions ; les tuyaux d’alimentation, sans doute coupés, n’auraient même pas contribué à la lutte contre l’incendie.
Les pompiers constituent la deuxième ligne de défense du bâtiment. Ces derniers utilisent les colonnes sèches qui sont des systèmes de tuyauterie installés et en attente. L’engin des pompiers alimente ces tuyaux au pied de l’immeuble et le pompier peut alors brancher directement sa lance sur cette colonne sèche a n’importe quel étage. Cela permet d’avoir immédiatement à disposition de l’eau sous pression. Cependant, comme pour le « sprinkler », le système a été complètement dévasté par la violence de l’attaque. On pense ainsi que le feu s’est étalé sur une vingtaine d’étages et qu’il a chauffé le plancher posé sur des poutres métalliques. Toute cette chaleur a déformé les poutres, induisant un phénomène bien connu des ingénieurs : le phénomène P Delta. Il y a ainsi eu un phénomène d’affaiblissement de la charpente métallique par perte de rigidité des poutres.

Pourquoi un plancher tombe-t-il ?
Les attaches sur les planchers des poteaux étaient un point délicat : ils étaient parfaits pour une utilisation normale du bâtiment mais largement insuffisants face au feu résultant de l’attaque. Nous sommes donc face à un plancher sans support qui tombe.
C’est à ce moment là qu’est apparu le début de ce qui est appelé «l’effondrement progressif » : le poids du plancher lors de l’écroulement est négligeable par rapport à l’effet de l’impact qu’il produit lors de son effondrement. Par exemple, si on enfonce un clou dans le mur d’un appartement, il est beaucoup plus simple de le faire avec un marteau que de le planter avec le pouce. Tout ceci est une question d’impact : un plancher tombe ; l’impact arrive sur le deuxième plancher, puis sur le troisième... et rapidement l’effondrement collectif apparaît avec la collision des planchers les uns sur les autres. Ainsi, un plancher s’effondrant entraîne le suivant et ainsi de suite, jusqu’à la complète ruine du bâtiment.
Or, pour que les poutres métalliques tombent, il fallait que les assemblages cèdent ; de la même manière que les boulons étaient tout simplement arrachés. Cela nous amène à des réflexions sur « la robustesse du bâti».

Les dégâts collatéraux :
  • Mariotte Hôtel
  • World Trade Center No.3
  • South Plaza No.4
  • Douane des Etats Unis - Bat 6
  • Winter Garden
  • Eglise grecque de Saint Nicolas
  • Bat 5 et 7
  • 90 West Street
  • Banken Trust Batiment
  • Batiment Verzin
  • World Financial Center - Batiment No.3
Tous ces bâtiments ont été détruits par l’effondrement des deux tours.


Quelles sont les réflexions d’un ingénieur structure face à un tel événement ?

Prenons l’exemple d’une catastrophe naturelle telle un séisme.
L’ingénieur essaie de mieux comprendre le phénomène, de l’appréhender, de l’analyser ; il essaie d’arriver à une modélisation où les mathématiques peuvent être appliquées pour définir l’amplitude du séisme. D’énormes progrès ont ainsi été fait dans cette matière depuis quarante ans environ.
Malheureusement, nous possédons encore certaines lacunes lorsqu’il s’agit d’appliquer ces connaissances. Par exemple, la Turquie, qui possède des bâtiments conçus et donc armés pour résister à des secousse si importante, a vu tous ses ouvrages s’effondrer. On considérait que ce risque était connu et maîtrisé et on s’aperçoit aujourd’hui que nous ne sommes pas aussi performants que nous l’imaginions en la matière.
En outre, le feu n’atteint pas que la charpente métallique. Par exemple lors de l’accident du Tunnel du Mont-blanc, le feu est parvenu à dégrader le béton et beaucoup de travaux de remise en état ont alors du être entrepris. Autre exemple, au siège du Crédit Lyonnais, au cœur de Paris, les façades en pierre massive côté Est ont été remplacées lors de la rénovation parce que la pierre avait été dénaturée par un incendie.
Le feu affecte tous les matériaux d’une manière ou d’une autre. En 1968, à Ronan Point, dans la banlieue de Londres, il y a eu vers cinq heures du matin une explosion de gaz dans une cuisine qui a provoqué un effondrement progressif classique. Il a suffi qu’un panneau de mur soit détruit par cette explosion pour que tous les étages du bâtiment s’écroulent. Nous avons là l’exemple classique de l’effondrement progressif. C’est précisément cet incident qui a donné naissance à l’expression. Heureusement, lors de cet incendie, seules les cuisines sont tombées alors que tout le monde était endormi, limitant le nombre des victimes puisqu’il n’y a eu que quatre morts.
A la suite de cet événement, les autorités britanniques ont réfléchi sur le problème de l’imprévu, du catastrophique, de l’accidentel et ont retenu ceci : en principe, n’importe quel élément de bâtiment, même un élément primaire, peut disparaître. De ce fait, même si un élément primordial de la structure s’évapore pour une raison que l’on ignore, le bâtiment ne doit pas s’effondrer d’une façon progressive. Une structure qui comporte cette qualité possède la qualité de robustesse constitue notre réponse à l’imprévisible. C’est une conséquence du 11 septembre : les mesures de sécurité en ce qui concerne les structures ont effectivement été renforcées.
Le système de métro londonien a été récemment le lieu d’un incident totalement inattendu, à la station King Cross où le feu tua trente neuf personnes. Dans deux stades de football, au stade du Heysel et à Bradford, deux terribles accidents ont eu lieu et de très nombreux spectateurs ont trouvé la mort à cause du mouvement de panique de la foule. En effet, il est tragique de prendre toutes les mesures imaginables, de mettre des escaliers de secours bien enfermés dans une cage de béton armé, de bien les écarter les uns des autres si un accident quelconque qui produit des dégâts matériels importants ne laisse qu’un escalier utilisable et si, finalement, la foule panique entraînant la mort de spectateurs. Bien sûr, les américains, qui examinent les conséquences du 11 septembre s’interrogent sur ces questions, notamment celles concernant les escaliers de secours, leur largeur et leur nombre.

Ecole des Ponts et Chaussées à Marne la Vallée
Ce très beau bâtiment a été façonné pour une résistance au feu selon l’Eurocode en vigueur qui est un premier pas vers une véritable étude de comportement de structure, en particulier en ce qui concerne la résistance au feu et la stabilité suite aux dommages induits par le feu. Car ce qui est fait en ce qui concerne le feu aujourd’hui est en réalité bien en deçà de ce qui est entrepris pour lutter contre les séismes, le vent, les charges d’exploitation. Le principe appliqué à l’ENPC réside en un rajout de béton à l’intérieur du profil métallique. En effet, le problème de l’acier est sa perte de résistance avec la chaleur. Dès lors, si on peut mettre une masse de matériau capable d’absorber la chaleur, le métal mettra beaucoup plus de temps à chauffer et conservera sa résistance. C’est ce qui a été entrepris à l’ENPC.


Conclusion

Beaucoup de progrès restent néanmoins à faire dans la résistance des structures face au danger que représente le feu. Ce sont des conséquences du 11 septembre 2001. Nous devons améliorer la robustesse de nos bâtiments, d’autant plus que le coût n’est pas forcément très élevé et que ça peut être sans incidence sur l’architecture. Le débat porte également sur la disposition des escaliers de secours sachant que l’on doit les protéger et les solidifier avec du béton armé. D’autres questions restent à prendre en considération. Par exemple : comment réagir face à un événement comme le 11 septembre ?
Voici un petit mot du New York Times pour conclure : « Mr Wang Wong Kim a vu en temps réel les événements du 11 septembre ; il a vu sur ces instruments l’équivalent d’une secousse de 2.5 sur l’échelle de Richter et il en a comprit que notre monde changeait. »


Geoff Rooke