11-Septembre

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Iceberg > Pic Pétrolier > Pfeiffer


Nous mangeons du pétrole

DLarchey.free.fr
Wiki.les-verts.infini.fr
Fromthewilderness.com

par Dale Allen Pfeiffer
le 3 octobre 2003

Tracteur au travail dans un champ
(Illustrations ajoutées)

Introduction par Michael C. Ruppert

Il y a quelques mois, je fus intrigué par une affirmation du professeur Kenneth Deffeyes de Princeton faite à Paris, à propos de l’impact du Pic Pétrolier sur la production d’engrais. J’ai mandaté Dale Allen Pfeiffer, l’éditeur de FTW sur le thème de l’énergie, pour étudier l’impact de la baisse de production de gaz sur la production d’engrais. Son enquête l’a poussé à étudier l’ensemble de la chaîne de production alimentaire des ÉtatsUnis. Comme les États-Unis et le Canada nourrissent une bonne partie de la population mondiale, les réponses auront nécessairement des implications globales.
Ce qui suit est très certainement l’article le plus effrayant que j’aie jamais lu et la pièce la plus inquiétante jamais publiée par FTW. Même si nous avons vu CNN, Britain’s Independent et Jane’s Weekly accréditer la réalité du Pic Pétrolier ces dernières semaines, reconnaissant que les réserves mondiales en pétrole et en gaz sont 80 % moins importantes que ce qui était prédit, nous constatons également que très peu réfléchissent vraiment aux multiples crises qui en constituent les inévitables conséquences ; au regard des réflexions accessibles au public en tous cas.
L’article qui suit identifie des conséquences si sérieuses que j’ai choisi d’en souligner les découvertes clés, ce que je n’ai pas l’habitude de faire. Ceci afin d’aider le lecteur à considérer chaque passage mis en valeur comme un fait particulier et extrêmement important. Chacun de ces faits devrait être lu et digéré indépendamment pour en assimiler son importance. Il m’est arrivé, alors que j’étais en train de lire un de ces faits, de m’arrêter, abasourdi, de me lever et d’aller faire un tour, avant d’être capable de poursuivre la lecture du texte.
En résumé, les recherches et rapports de Dale Allen Pfeiffer confirment les pires craintes de FTW sur les conséquences du Pic Pétrolier, et posent des questions très sérieuses sur la suite des évènements. Une des questions importantes est : pourquoi, alors qu’il y a une élection présidentielle cette année, aucun des candidats n’a même évoqué le problème. En l’état actuel des choses, il est clair que les réponses à ces questions, peut-être les plus importantes pour la survie de l’espèce humaine, ne seront trouvées que par des individus et des communautés indépendants des gouvernements. Alors que la crise devient inévitable, la recherche des vraies réponses ne peut dépendre que de nous-mêmes. – Michael C. Ruppert


Le 3 octobre 2003 à 12 heures (FTW) — Les êtres humains (comme tous les autres animaux) trouvent leur énergie dans la nourriture qu’ils mangent. Jusqu’au siècle dernier, toute l’énergie alimentaire disponible sur cette planète était dérivée du processus de la photosynthèse. Soit vous mangiez des plantes, soit vous mangiez des animaux qui se nourrissaient de plantes mais toute l’énergie contenue dans votre alimentation dérivait finalement de l’énergie solaire.

Il aurait été absurde de penser qu’un jour nous serions privés des rayons du soleil. Non, l’énergie solaire était abondante, renouvelable, et le processus de la photosynthèse nourrissait toute vie sur la terre. Cela plaçait aussi une limite sur la quantité de nourriture qui pouvait être produite simultanément, et donc une limite à la croissance de la population. L’énergie solaire a un flux limité sur cette planète. Afin d’accroître notre production alimentaire, nous devions multiplier les terres cultivables et déplacer les organismes qui nous concurrençaient. Il n’y avait pas d’autre moyen d’augmenter la quantité d’énergie disponible pour la production alimentaire. La population humaine s’est développée en déplaçant toutes les autres populations et en s’appropriant une part de plus en plus importante de l’énergie solaire disponible.

Le besoin d’étendre la production agricole a été l’une des causes de presque toutes les guerres de l’histoire connue, de même que l’extension des ressources d’énergie disponibles (et la production agricole représente vraiment une part essentielle de l’utilisation de l’énergie disponible). Lorsque les Européens n’ont plus été capables d’étendre leurs cultures, ils ont commencé à conquérir le monde. Les explorateurs furent suivis des conquistadores, des marchands et des colons. Les raisons officielles des conquêtes ont pu être le commerce, l’avarice, l’impérialisme ou encore la simple curiosité, mais à la base, la véritable motivation est l’augmentation de la production agricole. Où que les explorateurs et les conquistadores se soient rendus, ils sont peut-être revenus avec un butin, mais ils ont laissé des plantations derrière eux. Les colons ont travaillé dur la terre pour y établir leurs propres fermes. Ces conquêtes ont duré jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de place pour d’autres annexions. Bien-sûr, aujourd’hui encore, les propriétaires terriens et les fermiers se battent pour obtenir toujours plus de terre pour la production agricole, mais ils se battent pour des miettes. Aujourd’hui, presque toutes les terres fertiles de cette planète sont exploitées pour l’agriculture. Ailleurs, il ne reste que des terres trop dures, trop détrempées, trop arides ou encore manquant des nutriments essentiels. [1]

Au moment même où les cultures n’ont plus pu s’étendre, des nouvelles innovations ont rendu possible une exploitation plus forte des terres déjà exploitées. Le processus visant à chasser les parasites s’est accéléré durant la révolution industrielle alors que la mécanisation de l’agriculture facilitait le nettoyage et le regroupement des terres, augmentant la surface exploitable par un seul homme. La population augmenta au rythme de la croissance de la production agricole.
À l’heure actuelle, près de 40 % de toute la capacité photosynthétique est la propriété des hommes. [2] Aux États-Unis, nous utilisons plus de la moitié de l’énergie solaire capturée par la photosynthèse. [3] Nous nous sommes appropriés toutes les terres de qualité de cette planète. La nature n’a la possibilité de faire qu’avec ce qui reste. En clair, nous avons là une des causes majeures de l’extinction des espèces et de la pression sur les écosystèmes.

Sacs d'engrais
Engrais

La révolution verte


Dans les années 50-60, l’agriculture a subi une transformation drastique souvent appelée la révolution verte. La révolution verte est la conséquence de l’industrialisation de l’agriculture. L’une de ses avancées réside dans la création de nouvelles plantes hybrides, permettant des récoltes plus importantes. Entre 1950 et 1984, alors que la révolution verte transformait l’agriculture à travers le monde, la production mondiale de grains a augmenté de 250 %. [4] Ce chiffre indique une augmentation énorme de la quantité de nourriture disponible pour les hommes. L’énergie additionnelle n’est pourtant pas venue d’une augmentation de l’ensoleillement, ni même de l’extension des terres agricoles. L’énergie nécessaire à la révolution verte a été produite grâce aux énergies fossiles sous la forme d’engrais (gaz naturel), de pesticides (pétrole), et de l’irrigation motorisée.

La révolution verte a accru le flot d’énergie vers l’agriculture d’un facteur 50 en moyenne par rapport à l’agriculture traditionnelle. [5] Dans les cas les plus extrêmes, l’énergie consommée par l’agriculture a été multipliée par 100, voir plus. [4]

Productivité de l'agriculture et production d'engrais

Consommation en engrais et gain de productivité en agriculture depuis 1960. Cette courbe permet d’entrevoir les conséquences induites par la rareté du pétrole.
(Source)

Aux États-Unis, l’équivalent de 1800 litres de pétrole sont répandus chaque année pour nourrir un américain (données de 1994). [6]


L’énergie consommée par l’agriculture se divise selon le tableau suivant :

31 % pour la fabrication des engrais inorganiques
19 % pour les machines agricoles
16 % pour le transport 13 % pour l’irrigation
8 % pour élever le bétail (nourriture non incluse)
5 % pour sécher les récoltes
5 % pour la production des pesticides
8 % pour le reste [7]
Consommation de pétrole par an et par personne


Les coûts énergétiques pour le packaging, la réfrigération, le transport vers les magasins et la cuisine à la maison ne sont pas pris en compte dans ce tableau.

Pour se faire une idée de la quantité d’énergie nécessaire à l’agriculture moderne, il est utile de savoir que la production d’un kilogramme d’azote pour les engrais nécessite une énergie variant entre 1,4 et 1,8 litres de fuel. Ceci sans considérer qu’ils sont produits par transformation du gaz naturel. [7] D’après “The Fertilizer Institute” pendant l’année écoulée entre le 30 juin 2001 et le 30 juin 2002, les États-Unis ont utilisé 12 009 300 tonnes d’engrais azotés. [8] En utilisant l’estimation basse de 1,4 litres d’équivalent fuel par kilogramme d’azote, nous obtenons une énergie équivalente de 15,3 milliards de litres de fuel, ce qui équivaut à 96,2 millions de barils de pétrole.
Il ne s’agit bien-sûr que d’une estimation grossière pour aider à la compréhension des besoins énergétiques de l’agriculture moderne.

Nous sommes en train de manger nos énergies fossiles, au sens propre du terme. Cependant, les lois de la thermodynamique nous apprennent qu’il n’y a pas nécessairement égalité entre les flux énergétiques entrants et sortants de l’agriculture. Tout au long du processus, il y a des pertes énergétiques. Entre 1945 et 1994, les besoins énergétiques de l’agriculture ont été multipliés par 4 alors que les récoltes ont seulement été multipliées par 3. [9] Depuis, les besoins énergétiques ont continué d’augmenter sans que cela ne se traduise par une augmentation significative de la production. Nous avons atteint le point où les optimisations peuvent seulement se faire à la marge. Ainsi, à cause de l’appauvrissement des sols, de la demande de plus en plus forte en pesticides et du coût grandissant de l’énergie nécessaire à l’irrigation (tous ces éléments étant examinés ciaprès), l’agriculture moderne est obligée d’augmenter ses dépenses énergétiques pour maintenir le rendement de ses récoltes. La révolution verte est en train de faire faillite.

Le coût des énergies fossiles

L’énergie solaire est une ressource renouvelable uniquement limitée par le flux de rayons provenant du soleil. À l’inverse, les énergies fossiles constituent un stock qui peut être exploité à un régime quasi illimité. Cependant, à l’échelle humaine, les énergies fossiles ne sont pas renouvelables. Elles représentent un stock planétaire que nous pouvons utiliser à la vitesse que nous souhaitons mais qui un jour sera épuisé sans possibilité de renouvellement. La révolution verte s’est servie de ce stock énergétique et l’a utilisé pour augmenter la capacité de production agricole.
Globalement, l’utilisation d’énergies fossiles aux États-Unis a été multipliée par 20 durant les 4 dernières décennies. Aux États-Unis, nous consommons 20 à 30 fois plus d’énergie fossile par personne qui dans les pays en développement. L’agriculture consomme 17 % de toute l’énergie utilisée dans ce pays. [9] En 1990, nous utilisions environ 1000 litres (6,41 barils) de pétrole pour produire de la nourriture sur une surface de 1 hectare de terres. [3]

En 1994, David Pimentel et Mario Giampietro ont estimé que le ratio énergétique de l’agriculture était de l’ordre de 1,4. [6] Pour 0,7 kilocalories d’énergie fossile consommée, l’agriculture américaine produisait 1 kilocalorie de nourriture. La source pour le calcul de ce ratio était basée sur les statistiques de la FAO (Food and Agriculture Organization), qui considéraient uniquement l’énergie apportée par les engrais et les pesticides (sans considérer l’énergie dépensée pour les produire), l’énergie nécessaire à l’irrigation et aux fonctionnement des machines agricoles. Parmi les autres apports d’énergies non pris en compte, on trouve l’énergie nécessaire au séchage des récoltes, au transport des produits entrants et sortants de la ferme, à la production d’électricité et à la construction et la maintenance des bâtiments et des infrastructures des fermes. En ajoutant ces éléments, on trouve un ratio de 1. [6] Et ceci sans prendre en compte le packaging, le transport vers les magasins, la réfrigération et la cuisine. Dans une étude complémentaire terminée plus tard dans la même année (1994), Giampietro et Pimentel ont réussi à calculer un ratio énergétique de l’agriculture plus précis. [5] Dans cette étude, les auteurs définissent deux formes distinctes d’énergie consommée : l’énergie endosomatique et l’énergie exosomatique. L’énergie endosomatique est l’énergie musculaire générée par la transformation métabolique des aliments par le corps humain. L’énergie exosomatique est issue de la transformation de l’énergie en dehors du corps humain, comme le ferait par exemple un tracteur en consommant du diesel. Cette distinction a permis aux auteurs de se concentrer sur l’apport particulier des énergies fossiles et sur son ratio aux autres apports énergétiques.

Avant l’ère industrielle, presque 100 % des énergies endosomatiques et exosomatiques provenaient de l’énergie solaire. Les énergies fossiles représentent maintenant 90 % de toutes les énergies exosomatiques utilisées aux États-Unis et dans les autres pays développés. [5] Typiquement, le ratio exo/endo des sociétés pré-industrielles basées sur l’énergie solaire était de 4 pour 1. Ce ratio a été multiplié par 10 dans les pays développés pour atteindre 40 pour 1. Aux États-Unis, il dépasse même 90 pour 1. [5] La manière dont nous utilisons l’énergie endosomatique a également changé.
La plus grande partie de l’énergie endosomatique n’est plus directement utilisée dans des processus économiques. Aujourd’hui, la majeure partie de l’énergie endosomatique est utilisée pour générer le flot d’informations qui contrôle les machines. Ces machines utilisent quant à elles de l’énergie exosomatique. En considérant le ratio exo/endo de 90 pour 1 des États-Unis, chaque kilocalorie d’énergie endosomatique dépensée aux États-Unis implique la libération de 90 kilocalories d’énergie exosomatique. Par exemple, un petit moteur diesel est capable de convertir les 38 000 kilocalories contenues dans un gallon de fuel (environ 4,5 litres) en 8,8 kilowatt heures, ce qui équivaut à environ 3 semaines de travail pour un être humain. [5]

Dans leur étude approfondie, Giampietro et Pimentel ont découvert que 10 kilocalories d’énergie exosomatique sont nécessaires au processus agroalimentaire qui délivre 1 kilocalorie de nourriture au consommateur américain (ceci inclut l’emballage, le transport et la livraison mais exclut l’énergie utilisée pendant la cuisson). [5] L’industrie agro-alimentaire américaine consomme dix fois plus d’énergie qu’elle n’en produit sous forme de nourriture. Ce déséquilibre est rendu possible par l’utilisation des énergies fossiles.
Si on considère qu’un apport alimentaire de 2500 kilocalories constitue un régime alimentaire journalier moyen aux États-Unis, le ratio de 10 pour 1 nous donne un coût de 35 000 kilocalories d’énergie exosomatique consommée par personne chaque jour. Cependant, si on considère que le produit d’une heure de travail (énergie endosomatique) conduit à 100 000 kilocalories d’énergie exosomatique produite, l’apport d’énergie nécessaire à la production du régime alimentaire journalier est obtenu en seulement 20 minutes de travail dans notre système actuel. Malheureusement, si on supprime l’énergie fossile de l’équation, le régime alimentaire journalier requiert 111 heures de travail endosomatique ; autrement dit, l’apport alimentaire américain quotidien nécessiterait au moins 3 semaines de travail pour une personne.

De manière assez claire, alors que la production d’énergies fossiles s’apprête à décliner durant la prochaine décennie, il y aura de moins en moins d’énergie disponible pour produire de la nourriture.

Les sols, les champs et l’eau

L’agriculture intensive moderne ne peut être maintenue. Les progrès technologiques de l’agriculture ont conduit à l’érosion des sols, à la pollution et à la surexploitation des eaux souterraines et de surface, jusqu’à causer de sérieux problèmes environnementaux et de santé publique (principalement à cause des pesticides). L’érosion des sols, la surexploitation des champs et des réserves d’eau conduisent en fait à une utilisation encore plus grande des énergies fossiles et des produits à base de pétrole ou de gaz. Il faut plus d’engrais, plus de pesticides ; l’irrigation nécessite plus d’énergie pour pomper l’eau ; et les énergies fossiles sont utilisées pour purifier les eaux polluées.
Il faut 500 ans pour reconstituer une épaisseur de 2,5 cm de la couche arable. [9] Dans un environnement naturel, la terre arable se régénère par décomposition des plantes mortes et est protégée de l’érosion par les plantes qui s’y développent. Sur un sol fragilisé par l’agriculture, l’érosion affecte la productivité jusqu’à 65 % tous les ans. [9] Les anciennes prairies qui constituent le grenier à blé des États-Unis ont perdu la moitié de leur couche arable après 100 ans d’agriculture intensive. La couche arable s’érode 30 fois plus vite qu’elle ne se reconstitue par bien plus voraces que les prairies naturelles qui couvraient les grandes plaines. Il en résulte un appauvrissement grandissant de la terre arable en nutriments. L’érosion et l’appauvrissement des sols correspondent à un coût annuel de 20 milliards de dollars de nutriments. [5] La majeure partie des sols des grandes plaines ne vaut guère plus qu’une éponge que nous devons abreuver d’engrais pour produire des céréales.

Aux États-Unis, plus de 800 000 hectares de terres agricoles sont perdus chaque année à cause de l’érosion, de la salinisation et de l’appauvrissement en eau. Pour couronner le tout, l’urbanisation, la construction des routes, et le développement industriel conquièrent encore 400 000 hectares supplémentaires sur les champs chaque année. [9] Aux États-Unis, approximativement trois quarts des terres sont dévolus à l’agriculture ou à l’exploitation forestière. [3] L’augmentation de la population engendre une pression grandissante sur la disponibilité des terres. Par effet de bord, seule une petite portion de la surface de États-Unis reste disponible pour développer les technologies solaires nécessaires au fonctionnement d’une économie basée sur l’énergie solaire. De la même manière, la surface disponible pour exploiter la biomasse est elle aussi limitée. Pour cette raison, le développement du solaire ou de la biomasse ne pourra se faire qu’au détriment de l’agriculture.

L’agriculture moderne met également la pression sur les ressources en eau. Aux États-Unis, l’agriculture consomme près de 85 % de toutes les ressources renouvelables en eau. [9] De nombreuses réserves d’eau de surface sont surexploitées, particulièrement dans l’ouest et le sud. L’exemple typique est celui du fleuve Colorado, qui est détourné jusqu’à en devenir un ruisseau lorsqu’il se déverse dans le Pacifique. L’eau de surface ne fournit que 60 % de toute l’eau utilisée pour l’irrigation. Le reste, et dans certains endroits la majeure partie de l’eau pour l’irrigation, provient des nappes phréatiques. Ces nappes se régénèrent lentement par percolation de l’eau de pluie à travers l’écorce terrestre. Moins de 0,1 % de l’eau souterraine pompée annuellement est remplacée par l’eau de pluie. [9] La grande nappe d’Ogallala qui fournit l’eau pour l’agriculture, l’industrie et l’utilisation domestique d’une grande partie des états du centre et du sud est surexploitée de 160 % par rapport à son taux de rechargement. La nappe d’Ogallala deviendra non productive d’ici quelques dizaines d’années. [9]
Il est possible d’illustrer les besoins en eau de l’agriculture moderne en regardant de près la culture du maïs. Un champ de maïs qui produit 7,3 tonnes par hectare et par année requiert La production de 1 kilogramme de maïs nécessite 1400 litres d’eau. [9] À moins que quelque chose ne soit fait pour réduire ces besoins en eau, l’agriculture moderne conduira les États-Unis dans une crise de l’eau.

Durant les 20 dernières années, l’utilisation de pesticides à base de pétrole et de gaz naturel a été multipliée par 33, bien que chaque année de plus en plus de récoltes soient envahies par des parasites. [3] Ceci résulte de l’abandon des techniques traditionnelles de rotation des cultures. Ainsi, aux États-Unis, près de 50 % des champs de maïs sont dédiés à la monoculture du maïs. [5] S’en suit une augmentation des parasites, qui engendre à son tour une augmentation de l’utilisation de pesticides. L’utilisation de pesticides sur les champs de maïs avait déjà augmenté de facteur 1000 avant l’introduction du maïs transgénique, résistant aux pesticides. Malgré cela, les pertes dues aux parasites ont quadruplé. [3]
L’agriculture intensive moderne est condamnée. Elle détruit nos terres, vide nos réserves en eau et pollue l’environnement. Et tout le processus nécessite un apport de plus en plus important en énergies fossiles pour l’irrigation, pour le renouvellement des nutriments, pour la protection contre les parasites, pour la restauration de l’environnement et plus simplement pour le maintien de la production de céréales à un niveau constant. De plus, l’apport en énergies fossiles va diminuer drastiquement à mesure que la production de ces énergies va décliner.

La consommation américaine

Aux États-Unis, chaque individu consomme en moyenne une tonne de nourriture par personne et par an. Ceci correspond à une consommation individuelle journalière de 3600 kilocalories. La moyenne mondiale est de 2700 kilocalories par jour. [9] Près de 19 % de cet apport calorique provient des fast food. La nourriture fast food représente 34 % de la consommation totale de nourriture pour l’américain moyen. Il mange à l’extérieur près d’un repas sur quatre. [10]
D’autre part, un tiers de l’apport calorique de l’américain type provient de sources animales (produits laitiers y compris), ce qui représente 360 kilogrammes par personne et par an. Ce régime alimentaire correspond à un apport énergétique composé à 40 % de graisses —près de la moitié de l’apport. [9]

Par ailleurs, les américains sont aussi de grands consommateurs d’eau. Il y a dix ans, ils consommaient 4600 litres par jour et par personne, la plus grande partie étant dévolue à l’agriculture. D’après les projections, l’augmentation de la population conduira en 2050 à une consommation de 2650 litres par personne et par jour, ce que les spécialistes considèrent comme un chiffre minimal pour les besoins humains. [9] Ceci sans tenir compte du déclin de la production des énergies fossiles.
Pour fournir tous ces aliments, il est nécessaire d’utiliser 600 000 tonnes de pesticides par an, en Amérique du Nord. Cela fait plus d’un cinquième de l’utilisation totale annuelle de pesticides, estimée à 2,5 millions de tonnes. [5] Au niveau mondial, on utilise par ailleurs plus d’engrais azotés par an qu’il n’est possible d’en produire par des processus naturels. De la même manière, l’eau est pompée des nappes phréatiques à une vitesse bien plus grande qu’elles ne se régénèrent. Enfin, les stocks de sels minéraux importants comme le phosphore ou le potassium arrivent rapidement à épuisement. [5]

La consommation totale d’énergie aux ÉtatsUnis dépasse le triple de l’énergie solaire captée par l’exploitation agricole et forestière. Globalement, la consommation américaine d’énergie excède de 40 % la quantité totale d’énergie solaire captée par l’ensemble de la biomasse sur le territoire des États-Unis. Par ailleurs, en Amérique du Nord, la consommation individuelle d’énergies fossiles est 5 fois plus élevée que la moyenne mondiale. [5]

Notre prospérité s’est construite sur le principe de la surexploitation maximale des ressources mondiales jusqu’à épuisement, sans considération pour nos voisins, pour les autres formes de vie de la planète, ni même pour nos enfants.

Population et développement durable

Sur la base d’une augmentation annuelle de 1,1 %, la population américaine devrait doubler d’ici 2050. Alors qu’elle s’accroît, on peut estimer que 40 ares de terres seront perdus pour chaque Américain supplémentaire. Aujourd’hui, nous disposons de 73 ares de terres agricoles pour chaque citoyen américain. D’ici 2050, ce chiffre devrait passer à 24 ares, alors que 48 ares par personne sont nécessaires pour maintenir notre régime alimentaire actuel. [9]

Aujourd’hui, seuls deux pays sur terre exportent massivement des céréales : les États-Unis et le Canada. [4] En 2025, on s’attend à ce que les ÉtatsUnis cessent d’en exporter à cause de la demande intérieure. L’impact sur l’économie américaine pourrait en être dévastateur, dans la mesure où les exportations de céréales rapportent 40 milliards de dollars par an. Encore plus grave : des millions de personnes à travers le monde pourraient mourir de faim si les États-Unis cessent d’exporter de la nourriture.[9]
Sur le marché intérieur, 34,6 millions de personnes vivent dans la pauvreté d’après le recensement de 2002. [11] Et ce nombre continue à grandir à une vitesse alarmante. Beaucoup trop nombreux sont ceux d’entre eux qui n’ont pas assez à manger. Alors que la situation s’aggrave, ce nombre va augmenter et les États-Unis vont être le théâtre de famines.

Il est possible de faire certaines choses pour au moins alléger cette tragédie. Certains suggèrent qu’inciter l’agriculture à mieux s’organiser pour éviter les pertes inutiles, les déchets et la mauvaise gestion pourrait diminuer jusqu’à moitié les besoins énergétiques de la production agricole. [3] Au lieu d’utiliser des engrais à base d’énergies fossiles, nous pourrions exploiter des engrais provenant des déjections du bétail qui pour l’instant sont inutilisées. On estime que ces déjections contiennent 5 fois la quantité d’engrais utilisée chaque année. [3] À tout considérer, il serait peut-être plus efficace d’éliminer radicalement la viande de notre régime alimentaire. [12]
Mario Giampietro et David Pimentel estiment qu’un système de production agricole durable n’est possible que si quatre conditions sont réunies :
  1. Mettre au point des technologies agricoles compatibles avec l’environnement.
  2. Développer des technologies utilisant des énergies renouvelables.
  3. Augmenter fortement le rendement énergétique pour permettre une réduction de la consommation d’énergie exosomatique par personne.
  4. Maintenir la taille de la population et sa consommation afin qu’elles soient compatibles avec la stabilité des processus environnementaux. [5]
Si les trois premières conditions sont remplies, avec une réduction de moitié de la consommation d’énergie exosomatique par personne, les auteurs fixent une population maximale pour une économie durable aux environs de 200 millions de personnes. [5] De nombreuses autres études ont donné des estimations similaires. [15]
Dans la mesure où la population américaine est supérieure à 292 millions de personnes, [13] il serait donc nécessaire de la réduire de 92 millions. Pour atteindre une situation économique durable et prévenir un désastre, les États-Unis doivent réduire leur population de près d’un tiers. La peste noire du XIV ième siècle a décimé approximativement un tiers de la population européenne (et près de la moitié de la population en Asie et en Inde), plongeant le continent dans des ténèbres dont il fallut près de deux siècles pour en sortir. [14]

Aucune des études précitées ne tient compte de l’impact du déclin de la production d’énergies fossiles. Les auteurs de ces études pensent que la crise agricole à laquelle ils font référence n’aura seulement un impact sur nous qu’après 2020, et ne sera pas critique avant 2050. Le pic de production globale du pétrole que nous venons d’atteindre (avec la décroissance qui s’en suit), combiné avec le pic de production du gaz naturel en Amérique du Nord, vont très probablement précipiter la crise agricole bien plus tôt que ce qui était attendu. Il est bien possible qu’une réduction d’un tiers de la population américaine soit insuffisante pour maintenir une agriculture durable ; il est possible que la réduction nécessaire dépasse la moitié de la population. De plus, pour maintenir une agriculture durable, la population mondiale devra être réduite de 6,3 milliards d’individus [13] à 2 milliards — une réduction des deux tiers. À court terme, la fin de cette décennie pourrait être le théâtre d’une augmentation galopante des prix des denrées alimentaires. La décennie qui suit quant à elle verrait des famines massives au niveau mondial, comme jamais elles n’ont existé dans l’histoire de l’humanité.

Rayon alimentaire d'un supermarché

Trois alternatives

En considérant l’impérieuse nécessité de la réduction des populations, nous nous retrouvons face à trois alternatives.
Nous pouvons – en tant que société – nous rendre compte du dilemme et décider de ne pas augmenter la population. Ce serait l’option la plus souhaitable des trois, de choisir en conscience et sans contrainte de diminuer notre population de façon responsable. Cependant, ceci entre en conflit avec notre impératif biologique de reproduction. La situation est rendue encore plus compliquée par les facultés de la médecine moderne d’étendre notre longévité et par le refus des religions d’accepter des règles de gestion de la population. De plus, il existe un lobbying puissant du monde des affaires pour conserver un taux d’immigration élevé afin de maintenir un faible coût du travail. Même si cela devait être notre meilleure option, c’est certainement la plus improbable.

En échouant face à notre responsabilité de réduire notre population, nous pourrions imposer des réductions par des lois. Est-il vraiment besoin de dire combien de telles solutions sont détestables ? Combien d’entre nous choisirions de vivre dans un monde de stérilisation forcée et de quotas sous la contrainte de la loi ? Cela pourrait facilement mener à un contrôle de la population par les principes de l’eugénisme.
Ceci ne nous laisse qu’un troisième choix, qui présente un visage indicible de souffrance et de mort. Si nous devions nous voiler la face et ignorer la crise à venir, nous serions amenés à faire face à un précipice duquel la civilisation pourrait très bien ne pas se sortir. Nous pourrions très probablement voir disparaître plus de monde que ce qui serait nécessaire pour maintenir une agriculture durable. Suivant le scénario du précipice, les conditions de vie pourraient se détériorer si dramatiquement que les survivants ne seraient qu’une fraction négligeable de la population actuelle. Et ces survivants auraient à souffrir du traumatisme de la mort de leur civilisation, de leurs voisins, de leurs amis et de leurs familles. Ces survivants auraient vu leur monde réduit en cendres.

Les questions qu’il nous faut nous poser sont, comment pourrions-nous laisser faire une chose pareille et comment pouvons-nous l’éviter ? Notre mode de vie actuel est-il si précieux à nos yeux pour que nous imposions à nos enfants et à nousmêmes cette tragédie qui approche rapidement, simplement pour gagner quelques années de plus de consommation effrénée ?


Notes de l’auteur

Cet article est probablement le plus important que j’aie écrit à ce jour. C’est sans doute le plus effrayant, et sa conclusion la plus noire que j’aie jamais produite. Il est possible qu’il perturbe très profondément le lecteur ; il m’a moi-même perturbé fortement. Cependant, il est important pour notre avenir que cet article soit lu, compris et discuté.
Je suis par nature positif et optimiste. En dépit de cet article, je continue à croire qu’il nous sera possible de trouver une solution positive aux multiples crises qui nous font face. Même si cet article peut provoquer un déversement de courriers haineux, il s’agit simplement d’un rapport de faits et des conclusions évidentes qui en résultent.


Dale Allen Pfeiffer

Traduit de l’anglais par Dominique Larchey-Wendling


Références

[1] P. Buringh. Availability of agricultural land for crop and livestock production. Dans Food and Natural Resources, D. Pimentel et C.W. Hall (éds). Academic Press, 1989.
[2] P. Vitousek, P. Ehrlich, A. Ehrlich, et P. Matson. Human appropriation of the products of photosynthesis. Bioscience, 6:21–32, 1986.
[3] D. Pimentel et M. Pimentel. Land, Energy and Water: the constraints governing Ideal US Population Size. Rapport technique, Negative Population Growth Forum, printemps 1991. http://www.dieoff.com/page136.htm.
[4] H. Kindell et D. Pimentel. Constraints on the Expansion of Global Food Supply. Ambio, 23(3), mai 1994. http://www.dieoff.com/page36htm.
[5] M. Giampietro et D. Pimentel. The Tightening Conflict: Population, Energy Use, and the Ecology of Agriculture, 1994. http://www.dieoff. com/page69.htm.
[6] D. Pimentel et M. Giampietro. Food, Land, Population and the U.S. Economy. Rapport technique, Carrying Capacity Network, novembre 1994. http://www.dieoff.com/page55.htm.
[7] N.B. McLaughlin et al. Comparison of energy inputs for inorganic fertilizer and manure based corn production. Canadian Agricultural Engineering, 42(1), 2000.
[8] U.S. Fertilizer Use Statistics. Rapport technique, The Fertilizer Institute. http://www.tfi.org/Statistics/USfertuse2.asp.
[9] D. Pimentel et M. Giampietro. Food, Land, Population and the U.S. Economy, Executive Summary. Rapport technique, Carrying Capacity Network, novembre 1994. http://www.dieoff.com/page40.htm.
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[11] The Poverty 2002. Rapport technique, U.S. Census Bureau, 2002. http://www.census.gov/.../pov02hi.html.
[12] F.M. Lappé. Diet for a Small Planet. Ballantine Books, 1991. http://www.dietforasmallplanet.com.
[13] U.S. and World Population Clocks. Rapport technique, U.S. Census Bureau. http://www.census.gov/main/www/popclock.html.
[14] B. Tuckman. A Distant Mirror. Ballantine Books, 1978.
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