11-Septembre

Iceberg    Introduction    Vidéos    Photos    Articles    Livres    Presse    Liens


Iceberg > Version officielle > Mompiou


La chute des Twin Towers

par Frédéric Mompiou
Chercheur invité au NIST
La Recherche, 2004 (?)

Article sur l'effondrement des Tours Jumelles par Frédéric Mompiou, chercheur invité au NIST, dans La Recherche
La Recherche consacre 4 pages aux Tours Jumelles.


Génie civil

En deux mots : Qu’est-ce qui a vraiment fait tomber le World Trade Center ? Quatre ans après le drame, cette question fait toujours débat chez les experts du génie civil. Pour trancher, ceux de l’Institut américain des normes et de la technologie (NIST) ont entrepris de simuler la manière dont les événements se sont succédé, tous les millionièmes de seconde, de l’impact de l’avion à l’effondrement des tours. Ils réfutent notamment le mécanisme supposé de l’effondrement progressif des planchers.


Décombres des Tours Jumelles
Les débris des tours jumelles, quelques heures après leur effondrement. Leur déblaiement nécessitera plus de huit mois.
Plus de quatre ans après les attentats du 11-Septembre, le premier rapport scientifique complet sur l’effondrement des tours jumelles du World Trade Center a été publié. Ses conclusions battent en brèche certaines idées reçues, et pourraient permettre de mieux sécuriser les grandes structures du génie civil.

Frédéric Mompiou est chercheur invité à l’Institut américain des normes et de la technologie (NIST), à Gaithersburg.


Le matin du 11 septembre 2001, deux avions, volant à 700 kilomètres à l’heure et transportant près de 37 000 litres de kérosène, percutaient les tours jumelles du World Trade Center (WTC), situé à New York, dans le quartier de Manhattan. Moins de deux heures plus tard, les tours disparaissaient dans un énorme nuage de poussière.
Les images de cet effondrement, qui cause la mort de près de 2 800 personnes, restent gravées dans les mémoires. Mais que sait-on, au juste, de la suite d’événements qui ont conduit à la plus grande tragédie de l’histoire du génie civil ? Alors que les ruines du WTC étaient encore fumantes, les experts de la Société américaine des ingénieurs en génie civil (ASCE) avaient été dépêchés sur le site [1]. Ils conclurent que les incendies qui suivirent l’impact des avions avaient ramolli les structures métalliques du WTC, entraînant l’effondrement progressif des planchers les uns sur les autres.
Mais le Congrès américain voulait une étude plus rigoureuse, et en 2002, il demanda à l’Institut américain des normes et de la technologie (NIST) de pousser l’enquête scientifique plus avant. Pour cela, le NIST n’a pas lésiné sur les moyens ! Le concours d’une trentaine de partenaires industriels et universitaires a été sollicité, et 200 experts du NIST ont été mobilisés pendant trois ans. Ils ont recueilli les témoignages d’un millier de personnes, passé en revue plusieurs dizaines de milliers de pages de documents, et réalisé de nombreux tests en laboratoire. Le NIST a présenté récemment le résultat de ses travaux [2]. Il remet en question le mécanisme de l’effondrement progressif des planchers, et explique la différence de comportement de chacune des deux tours.

Forêt de colonnes

Devant une telle catastrophe, une question s’est posée d’emblée : l’architecture du WTC était-elle à blâmer ? Construites en deux ans (entre 1968 et 1970), les tours nord (WTC 1) et sud (WTC 2) constituaient les pièces maîtresses d’un ensemble de sept immeubles. Même si leur forme extérieure (des parallélépipèdes de 415 mètres de haut et 64 mètres de large) était assez banale, leur architecture était d’une grande originalité : faisant l’économie de la traditionnelle forêt de colonnes utilisée pour soutenir les grands immeubles, elle offrait un gain de place important pour l’espace de travail.
L’architecture du WTC reposait sur un tube d’acier (la façade) composé d’un ensemble de 236 colonnes périphériques. Celles-ci entouraient le coeur de la structure, formé d’une quarantaine de colonnes d’acier abritant les ascenseurs et les escaliers. Reliant le coeur et la façade, les planchers étaient constitués d’une charpente métallique recouverte de béton. Un système d’amortisseurs situé entre la façade et les planchers permettait de réduire l’inconfort provoqué par l’oscillation naturelle d’un immeuble de grande taille. Enfin, des armatures métalliques coiffaient chacune des deux tours. Elles avaient été construites pour supporter deux antennes hautes d’une centaine de mètres, mais elles connectaient aussi le coeur des tours à leurs façades. Une redistribution des charges était ainsi assurée et nous verrons le rôle que cette configuration joua dans l’effondrement des tours.



Le bloc supérieur de la Tour Sud bascule au moment de l'effondrement
La tour sud du World Trade Center (ci-contre) a mis presque deux fois moins de temps (56 minutes) à s’effondrer que la tour nord (102 minutes).


Isolation conforme

Le NIST a établi que la qualité des aciers était irréprochable, et que les charges pour lesquelles les tours avaient été conçues entraient dans les normes de l’époque. En raison de l’incendie qui s’est développé après les impacts, l’Institut s’est également penché sur la conformité de l’isolation thermique, qui joue un rôle essentiel dans ce type d’événement en retardant l’effet destructeur de la chaleur sur les structures. Les colonnes du coeur étaient confinées derrière des panneaux de gypse*, tandis que les colonnes périphériques et la charpente des planchers étaient recouvertes d’un revêtement ignifugé, mélange de ciments et de fibre de verres. Son épaisseur était suffisante pour retarder l’échauffement selon les normes en vigueur. Et, expériences à l’appui, le NIST a démontré que les planchers pouvaient résister à un incendie pendant près de deux heures sans s’effondrer.

* Le gypse, appelé communément “pierre à plâtre”, est un minéral composé de calcium, de soufre et d’oxygène.

Il n’existe aucune réglementation sur le risque de collision d’avions, ni sur les incendies qu’un tel accident pourrait provoquer. Les concepteurs du WTC semblaient pourtant avoir été sensibilisés par un précédent. En 1945, en effet, un avion bimoteur de taille moyenne (B-25) perdu dans le brouillard avait heurté l’Empire State Building. Le bâtiment avait résisté à l’impact et à l’incendie qui s’en était sui. Un document de l’autorité portuaire indique que l’impact d’un Boeing 707 avait ainsi été envisagé lors de la construction du WTC : une « telle collision entraînerait uniquement des dommages localisés qui ne pourraient conduire à l’effondrement », avaient conclu les ingénieurs. Au vu des différences lors de l’impact, aucune comparaison n’est néanmoins possible entre celui du B-25 sur l’Empire State Building et les attentats de 2001 contre le WTC ; en particulier, un avion en fin de parcours, comme c’était le cas pour le B-25, transporte peu de kérosène, ce qui change son poids et donc sa capacité à pénétrer les structures.

Fig.1 : L’effondrement de la tour nord WTC 1

Simulation de l'effondrement de la Tour Nord
Au moment de l’impact dans la tour nord (T = 0 s), l’avion s’est encastré dans les structures. Les débris ont endommagé les protections thermiques des colonnes d’acier. En 0,04 seconde, le kérosène s’est enflammé, provoquant de violents incendies. Les fournitures de bureau ont constitué ensuite l’essentiel du combustible. Sous l’effet de la chaleur, les aciers ont commencé à se ramollir et à fléchir. Après exactement 102 minutes, les colonnes ne pouvaient plus supporter le poids de la partie supérieure de la tour, qui s’est effondrée.


Huit étages virtuels

Mais le NIST ne s’est pas limité à vérifier que les Twin Towers étaient en règle avec les cahiers de charges. Pour comprendre les causes de ce drame, ses experts ont entrepris de reconstituer par ordinateur la séquence des événements, depuis l’impact jusqu’à l’effondrement des tours [fig. 1]. Afin de modéliser l’impact, huit étages de deux tours ont virtuellement été reconstitués. Le renforcement de certaines colonnes du WTC 2, prévu pour supporter un coffre-fort énorme au 97e étage, a même été reproduit. Une série de simulations ont ensuite été réalisées afin de comprendre comment les pièces métalliques de l’avion, ainsi que celles des deux tours se sont fragmentées. Au final, la modélisation de l’impact a pris en compte plus de deux millions de données, et deux semaines de temps de calcul ont été nécessaires pour déterminer, tous les millionièmes de seconde, comment les événements se sont succédé.
Si autant de soin a été porté à la fidélité du modèle, c’était notamment pour comprendre comment les ailes en aluminium avaient pu cisailler aussi facilement les colonnes d’acier. Les simulations ont montré que les ailes auraient été incapables de pénétrer dans ces colonnes sans la masse importante de kérosène qu’elles contenaient. En considérant le poids des avions, l’angle et la vitesse des impacts, le nombre de colonnes périphériques détruites a également été déterminé : une vingtaine, environ, pour chacune des deux tours. En outre, les simulations ont permis d’obtenir des informations sur les dégâts occasionnés à l’intérieur des tours : dès l’impact, plusieurs colonnes du coeur ont été sérieusement endommagées, et une partie des planchers détruite.

Mais les bâtiments n’ont pas flanché : les colonnes se sont étirées et ont été déchirées comme du caramel mou, absorbant une bonne part de l’énergie cinétique des avions. Il y eut néanmoins d’autres dégâts qui, cumulés à ceux que nous venons d’évoquer, entraîneront l’effondrement du WTC. Premièrement, l’impact provoqua la dispersion du kérosène et le départ d’incendies sur de larges zones. En brisant un grand nombre de vitres sur les façades, l’impact eut pour effet d’accroître l’apport d’air pour ces incendies. Mais surtout les débris projetés à grande vitesse (ailes, réacteurs, etc.) ont gravement endommagé les revêtements ignifugés des colonnes, les laissant vulnérables à la chaleur dégagée par les incendies. La dégradation des plafonds participa à la propagation de cette chaleur, et si l’on ajoute à cela la destruction des extincteurs automatiques, on s’aperçoit que rien ne pouvait entraver le développement des incendies.
L’embrasement du kérosène ne dura que quelques minutes, et les fournitures de bureau ont constitué la majorité du combustible. Pour comprendre l’effet des incendies sur les structures, un espace de travail a été construit en modèle réduit avant d’être imbibé de la bonne quantité de kérosène. Des capteurs de poids ont mesuré la quantité de matière consumée, et les températures, ainsi que le volume des gaz participant à la combustion ont été déterminés. Ces expériences ont permis d’estimer la chaleur dégagée dans la zone détruite par l’avion. Un bureau effondré et recouvert de débris du plafond produit de la sorte deux fois moins de chaleur qu’un bureau normal.

   Fig.2 : Fléchissement de la tour sud


Simulation du basculement du bloc supérieur de la Tour Sud au moment de l'effondrement
Le déplacement de la structure du WTC 2, au-dessus du 86e étage (lieu de l’impact), 43 minutes après le départ des incendies et dans la direction sud-est, est représenté sur cette simulation selon un code couleur variant du rouge au bleu.


Tests de températures

Grâce à ces données, notamment, l’incendie a été modélisé à son tour. Là, une différence majeure apparaît entre les deux immeubles. Dans le WTC 1, la propagation des feux est limitée par l’apport d’air, et les incendies se déplacent du côté nord (près de l’impact) vers le côté sud, au fur-et-à-mesure que la chaleur brise de nouvelles fenêtres. Dans le WTC 2, où l’orientation de l’avion lors de l’impact a provoqué l’accumulation de nombreux débris combustibles dans le coin nord-est, les incendies sont plus concentrés et intenses.
Il restait à coupler la modélisation de l’incendie avec l’analyse structurale du bâtiment. Pour cela, des colonnes d’acier du WTC ont été soumises à des températures de plus en plus élevées. Ces tests ont été réalisés sur des colonnes entourées d’un revêtement ignifugé et sur d’autres, qui n’en possédaient pas. Des calculs plus complexes, tenant compte de la géométrie et de l’endommagement des structures, ont ensuite été effectués. Ils montrent que la chaleur diffuse à travers les trous dans l’isolation, et s’étend ensuite largement. Quarante-cinq minutes après le départ de l’incendie, une colonne bien isolée atteint les 300 °C. Dans le même temps, la température d’une partie des planchers et des colonnes endommagées du coeur avoisine déjà les 500 °C.
La structure microscopique des aciers change avec la température. À 500 °C, les colonnes du coeur du WTC commencent à se raccourcir dans un processus appelé « [illisible] », qui entraîne leur fléchissement. Les planchers s’affaissent. Toutefois, et contrairement à ce qu’avait conclu l’ASCE, les connexions avec les colonnes périphériques tenaient encorne et les planchers ne sont pas tombés les uns sur les autres. Pour preuve : le fléchissement observé des colonnes périphériques vers l’intérieur du bâtiment, sous l’effet de l’affaissement des planchers.



Expérience de comportement au feu par le NIST
Un espace de travail de la tour nord a été reproduit en maquette et incendié pour évaluer la manière dont les incendies se sont propagés, et comment ils ont endommagé les structures.


Redistribution des charges

Les événements se sont ensuite déroulés de la façon suivante. Par les connexions de l’armature du toit, l’affaiblissement des colonnes du coeur a entraîné la redistribution des charges vers les colonnes périphériques. Cela eut pour conséquence d’accroître le fléchissement des façades, provoquant une grande instabilité [fig. 2]. À un moment donné (56 minutes pour le WTC 2 et 102 minutes pour le WTC 1), ces colonnes sont devenues incapables de supporter la charge de la partie supérieure. Et, à mesure que cette dernière a basculé, ni le coeur ni les façades ne soutenaient plus aucune charge. L’énergie libérée par le mouvement de la partie supérieure était alors telle que même la partie inférieure, intacte, n’a pu résister. Mais pourquoi le WTC 2 s’est-il effondré deux fois plus vite que le WTC 1 ? Parce que les dommages infligés dans le WTC 2 aux colonnes du coeur étaient plus importants en raison de la trajectoire de l’avion. Elle était plus excentrée par rapport au milieu de la façade, ce qui a entraîné des incendies plus localisés et plus intenses. Conséquence : les colonnes ont perdu plus rapidement leur capacité à supporter les charges.
Quelles leçons tirer de cette tragédie ? Devant l’infinité des combinaisons d’impacts possibles, aucune certitude ne peut être formulée sur l’issue d’un « accident » de ce type. Il semble néanmoins probable que les scénarios « réalistes » conduisent tous à l’effondrement des tours. Le NIST est plus affirmatif pour ce qui concerne le fait que « les tours du WTC ne se seraient probablement pas effondrées [...] si l’isolation thermique n’avaient pas été délogée par l’impact des avions ». Selon l’Institut, une attention plus grande devrait ainsi être accordée à la mise en place de l’isolation thermique et des éléments de compartimentation, surtout dans les immeubles où les éléments de structure sont fortement dépendants les uns des autres, comme c’était le cas des tours jumelles. Le NIST préconise également d’installer des fenêtres résistantes à la chaleur afin de diminuer l’alimentation des incendies en oxygène. Mais il épingle surtout l’insuffisance des capacités des escaliers de secours du WTC, qui ne pouvaient supporter le « contre-flot » des équipes allant porter assistance aux victimes. Si les tours avaient été remplies au moment du drame, ces escaliers n’auraient pas permis l’évacuation de leurs occupants, et les pertes humaines auraient été encore plus importantes.


Frédéric Mompiou



Colonne d'une Tour Jumelle extraite des décombres
Cette colonne d’acier, retrouvée dans les débris, est l’une de celles qui ont été étirées et sectionnées lors de l’impact de l’avion.


[1] Rapport publié par l’Agence fédérale de gestion des situations d’urgence (FEMA) et la Société américaine des ingénieurs en génie civil (ASCE).
[2] http://wtc.nist.gov



Entretien
Charles Baloche Charles Baloche : « Les immeubles ne sont pas des bunkers ! »
Charles Baloche dirige le département « sécurité, structures et feu » du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB).

Comment les experts français ont-ils réagi à cet événement ? Les normes de sécurité dans l’industrie du bâtiment sont-elles les mêmes en France et aux États-Unis ?
C.B. : Tous les pays industrialisés partagent les mêmes grands principes de sécurité. Ces principes s’appliquent d’une manière spécifique, en fonction des traditions nationales. Les États-Unis privilégient les bâtiments en acier, comme avec le WTC, parce que ce matériau est bon marché et qu’il est étroitement lié à leur économie. En France, les immeubles sont construits surtout en béton, telle la tour Montparnasse. Après l’effondrement du WTC, la querelle sur les mérites respectifs de ces deux filières a été ranimée. Mais elles sont dimensionnées de la même manière en termes de sécurité et sont tout aussi vulnérables face à un attentat du type « 11-Septembre », qui conduit à des incendies très sévères.

Des mesures ont-elles été prises, en France, après l’effondrement du WTC ?
C.B. : Les autorités publiques ont posé la question suivante : souffririons-nous de carences pour la sécurité de nos gratte-ciel en cas d’incendie ? L’administration concernée a réuni les experts du domaine, notamment ceux du CSTB, pour y répondre. Ils ont conclu que nos réglementations répondaient bien aux risques pour lesquels les immeubles sont dimensionnés, et qu’elles n’avaient, à ce jour, jamais été mises en défaut. Cependant, pas plus qu’aux États-Unis, elles ne peuvent faire face à l’impact d’un avion lourdement chargé en carburant. Il existe certes des solutions « théoriques » : par exemple, le NIST propose de renforcer les revêtements de protection thermique des structures de sorte qu’ils résistent à l’impact d’un avion. Mais la fiabilité pratique de cette proposition reste à démontrer, sans parler de son volet économique. Je suis convaincu qu’il n’existe aucun mode constructif capable de répondre d’une manière « raisonnable » à ce problème. Plutôt que de chercher à protéger les immeubles contre les avions, ce qui conduirait à en faire des bunkers, ils vaut donc mieux empêcher les avions de taper dans les immeubles !

Propos recueillis par Franck D.[illisible].