11-Septembre

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On met des mots dans la bouche d’Ahmadinejad

ReOpen911

par Virginia Tilley
Professeur de science politique
2006

Le Président iranien Mahmoud Ahmadinejad au micro à l'ONU
Le Président iranien Mahmoud Ahmadinejad. (image ajoutée)

Dans ce gâchis épouvantable du Moyen-Orient, mettons une chose au point. L'Iran ne menace pas Israël de destruction. Le président de l'Iran n'a menacé d'aucune action contre Israël. À de nombreuses reprises, nous entendons dire que l'Iran est clairement "engagé à l’anéantissement d'Israël" parce que le Président Ahmadinejad "fou" ou "irresponsable" ou "extrémiste" a menacé à plusieurs reprises de détruire Israël. Mais chaque citation supposée, chaque situation où il l’aurait fait, est fausse.


La citation la plus infâme, "Israël doit être rayé de la carte", est la plus évidemment fausse. Dans son discours d'octobre 2005, M. Ahmadinejad n'a jamais utilisé le mot "carte" ni le terme "rayé". Selon des experts de langue Farsi comme Juan Cole et même des services de droite comme MEMRI, ce qu'il a dit en réalité était "ce régime qui occupe Jérusalem doit disparaître de la page du temps." (1)

Qu'a-t-il voulu dire ? Dans ce discours à une conférence anti-sioniste annuelle, M. Ahmadinejad était prophétique, pas menaçant. Il citait l'Imam Khomeiny, qui a dit cette phrase dans les années 1980 (en fait, une période où Israël vendait des armes à l'Iran, apparemment on ne trouvait pas cette phrase aussi horrible à l'époque (2)). M. Ahmadinejad venait de rappeler à son auditoire que le régime du Shah, l'Union soviétique et Saddam Hussein avaient tous semblé énormément puissants et immuables, cependant les deux premiers avaient disparu presque jusqu’à l’oubli, et le troisième languissait maintenant en prison. Donc, également, le "régime occupant" à Jérusalem serait parti un jour. Son message était, en essence, "cela passera aussi."

Mais en ce qui concerne ses autres "menaces" contre Israël ? La sphère du baratin a fait grand foin de son commentaire ultérieur dans le même discours, "Il n'y a aucun doute : la nouvelle vague d'attaques en Palestine effacera le stigmate de la face du monde Islamique." "Le Stigmate" a été interprété comme "Israël" et "la vague d'attaques" était menaçante. Mais en réalité il a dit ceci : "Je n'ai aucun doute que le nouveau mouvement ayant lieu en notre chère Palestine est une onde de moralité qui englobe tout le monde islamique et qui enlèvera bientôt cette tache de déshonneur du monde Islamique." "Vague de moralité" n'est pas "vague d'attaques." La phrase précédente avait fait comprendre que "la tache de déshonneur" était l'échec du monde musulman d'éliminer le "régime occupant".

Pendant des mois, des érudits comme Juan Cole et des journalistes comme Jonathan Steele du London Guardian ont fait remarquer ces erreurs de traduction tandis qu'il en apparaît de plus en plus : par exemple, les commentaires de M. Ahmadinejad à la conférence de l'Organisation des Pays Islamiques du 3 août 2006. Radio Free Europe a annoncé qu'il a dit "que 'le remède principal' pour la crise du Moyen-Orient est l'élimination d'Israël." "L'Élimination d'Israël" implique la destruction physique : bombes, mitraillage, terreur, largage de Juifs dans la mer. Tony Blair a dénoncé la déclaration traduite comme "tout à fait choquante". Mais M. Ahmadinejad n'a jamais dit ça. Selon Al-Jazeera, ce qu'il a en réalité dit était "le remède réel pour le conflit est l'élimination du régime sioniste, mais il devrait d'abord y avoir un cessez-le-feu immédiat."

Des projets abominables sont évidents si on traduit invariablement "l'élimination du régime d'occupation" par "la destruction d'Israël". "Régime" se réfère à la gouvernance, pas aux populations ou aux villes. "Le régime sioniste", c’est le gouvernement d'Israël et son système de lois, qui ont annexé les terres palestiniennes et tiennent des millions de Palestiniens sous occupation militaire. Beaucoup de militants des courants principaux des droits de l’homme croient que le « régime » d'Israël doit en effet être transformé, bien qu'ils ne soient pas d'accord sur la manière. Certains espèrent que Israël pourra être racheté par un changement de philosophie et de (régime de) gouvernement qui permettrait une solution à deux états. D'autres croient que la structure de l'Etat juif lui-même est en soi injuste, parce qu’il intègre des principes racistes dans les principes de l’Etat, et appellent à sa transformation dans une démocratie laïque (changement de régime). Aucune de ces idées de changement de régime ne signifie l'expulsion des Juifs dans la mer ou la dévastation de leurs villes. Toutes signifient un changement politique profond, nécessaire pour la création d'une juste paix.

M. Ahmadinejad a fait d'autres déclarations à l'Organisation des Pays Islamiques qui indiquaient clairement sa conception qu'Israël doit être traité dans le cadre de la loi internationale. Par exemple, il a reconnu la réalité des frontières actuelles quand il a dit que "tout agresseur devrait revenir à la frontière internationale libanaise". Il a reconnu l'autorité d'Israël et le rôle de la diplomatie en observant, "les circonstances devraient être préparées pour le retour des réfugiés et des personnes déplacées, et les prisonniers devraient être échangés." Il a aussi appelé à un boycott : "Nous proposons aussi que les nations islamiques coupent immédiatement toutes leurs relations politiques et économiques manifestes et secrètes avec le régime sioniste." Une pleine cargaison de groupes pacifistes juifs, d’Eglises américaines, et une multitude d'organisations des droits de l'homme ont dit les mêmes choses.

On doit un mot final à propos du "déni de l'Holocauste" de M. Ahmadinejad. Le déni de l'holocauste est une question très sensible en Occident, où il sert notoirement l'antisémitisme. Ailleurs dans le monde, cependant, le flou sur le génocide des Juifs révèle plus d’un pur manque d'information. On pourrait croire qu'il y a abondance d'information sur l'Holocauste dans le monde entier mais c'est une erreur. (Au risque de paraître arrogants, les Américains montrent le même provincialisme ahurissant vis-à-vis de ce qu’on sait quand, par exemple, ils parviennent à un âge avancé sans avoir encore saisi que les forces américaines ont tué au moins deux millions de Vietnamiens et en croyant que le dire est anti-américain. La plupart des Français n'ont pas encore accepté que leur armée ait massacré un million d'Arabes en Algérie).
Le scepticisme sur le récit du Génocide des Juifs a commencé à prendre au Moyen-Orient, non pas parce que les gens détestent les Juifs, mais parce que ce récit est mis en oeuvre pour soutenir qu'Israël a un droit "de se défendre" en attaquant chaque pays environnant. Le public du Moyen-Orient est si habitué aux bobards occidentaux légitimant des prises de contrôle coloniales ou impériales que certains se demandent si l'argument de six millions de morts n’est rien qu’un autre mythe ou un conte exagéré. Il est lamentable que M. Ahmadinejad semble appartenir à ce secteur.

Pourtant, M. Ahmadinejad n'a pas dit ce que le Sous-Comité Américain sur la Politique du Renseignement lui a attribué : "Ils ont inventé un mythe, que les Juifs ont été massacrés, et ils le mettent au-dessus de Dieu, des religions et des prophètes." Il a en réalité dit, "Au nom de l'Holocauste ils ont créé un mythe et le considèrent être plus digne que Dieu, la religion et les prophètes." Ces paroles visent le mythe de l'Holocauste, pas l'Holocauste lui-même - c'est-à-dire, "le mythe" en tant que "mystique", ou ce qui a été fait de l'Holocauste. D'autres auteurs, y compris des théologiens juifs importants, ont critiqué le "culte" ou le "fantôme" de l'Holocauste sans nier qu’il ait eu lieu. En tout cas, le message principal de M. Ahmadinejad a été que, si le Génocide est arrivé comme l'Europe dit que c'est arrivé, alors l'Europe, et pas le monde musulman, est responsable.

(1) Pour une présentation détaillée, lire :
"Perdus dans la traduction" par Jonathan Steele
(2) Il s’agit de l’affaire Iran-Contra.


Virginia Tilley


Virginia Tilley est professeur de science politique, étasunienne vivant à Johannesburg en Afrique du Sud. Elle a publié "The One-State Solution : A Breakthrough for Peace in the Israeli-Palestinian Deadlock" (University of Michigan Press and Manchester University Press, 2005).